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sonnes ayant dict à Sa Majesté que je ne manquerois pas de vouloir aller lui rendre de très humbles remerciements d’une si grande grace, et Sa Majesté ayant répondu qu’ele le permettroit, il n’y eut pas lieu de retarder à m’acquiter de ce devoir.

Ainsy, le dixième jour du même mois, je fus à Versailles avec Monsieur de Bartillat, mon intime amy, à quy Sa Majesté (se souvenant que c’étoit luy qui luy avoit parlé le plus souvent et avec le plus d’instance pour faire revenir mon fils de son exil avoit eu la bonté de dire que dans cette occasion elle se rejouissoit avec luy[1].

Lorsque nous arrivasmes, le Roy alloit tenir son conseil ; mais Monsieur de Bartillat luy ayant dict que j’estois là, Sa Majesté lui respondit : « Amenez-le moy. » Il n’y avoit avec elle dans la galerie que Monsieur Roze, secrétaire du cabinet, qui se retira[2]. Ainsi nous demeurâmes seuls, Monsieur de Bartillat et moy, avec Sa Maesté.

Lorsque je voulois lui faire mon compliment, elle prit la parole d’une manière si obligeante, qu’elle m’ouvrit le cœur et me donna cette grande liberté pour lui parler, qui dura tout le temps de cette longue et favorable audience. Sa Majesté me dit donc de prime abord : « Il ne falloit pas une moindre occasion que celle-cy pour vous faire sortir de vostre solitude, où quelque retiré que vous fussiez, on n’a pas laissé de parler de vous et beaucoup !… Mais je vous vais donner une autre joye, c’est que vous verrez votre fils plustôt que vous ne le pensez, car je luy ay mandé de revenir le plus viste qu’il se pourra. »

  1. Nicholas Jehannot, Chevalier, Seigneur de Bartillat et aultres lieux, Surintendant des finances, Thrésorier général et chef du conseil de la Reyne-mère ; lequel estait homme d’esprit et grand homme de bien. (Note du G. Prieur de Froulay).
  2. On ne sauroyt faire parler un Monarque avec une si grande noblesse et plus de simplicité, avec tant de bonté paternelle et tant de justesse en faict d’expression, que ne faisoit le Président Roze, et l’on peut dire de la collection des lettres qu’il avoyt escrites au nom du feu Roy que c’est une suite de chefs-d’œuvre. (Prieur de Froulay).