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France, et pour me conseiller d’émigrer en Angleterre. — C’est un pays, lui répondis-je, où je n’irai jamais établir mon domicile : il me semble que je m’y déplairais pour en mourir ; il y a trop d’Anglais !


En fait de bonne histoire de l’émigration, je vous dirai celle d’un gentilhomme gascon dont le Baron de Breteuil et Mme de Boufflers ne pouvaient jamais se parler sans éclater de rire.

Il était parti pour émigrer des environs de Saint-Paul-de-Fenouillede, avec une pièce de six francs ; mais à la vérité, c’était dans une cariole attelée d’un cheval, avec une femme qui était la sienne, et quatre enfans dont le plus jeune avait environ six mois. Il arrive tout droit à Saint-Pétersbourg, avec sa pièce de six francs intacte et ses quatre enfans en bonne santé, ce qui prouve qu’il avait du savoir-faire. Comme il n’avait été question de s’arrêter nulle part, on leur avait donné par tout pays toute sorte de facilités pour passer outre. C’était avec un excès d’obligeance et d’empressement inimaginable, et ils disaient qu’ils avaient fait un voyage charmant…

Voici qu’on vient me dire que l’Abbé Texier m’attend dans mon salon ; il faut tourner court à mon histoire, et je vous dirai substantiellement que M. de Breteuil, accrédité par Louis XVIII auprès de l’impératrice de Russie, avait sollicité (pour ce gascon) la permission d’aller s’établir sur le Caucase. On lui donna de l’argent pour acheter des pioches et des bêches, et deux ans plus tard il envoya une caisse remplie de superbes fourrures à M. de Bre-