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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

d’un premier valet de chambre du Roi (Mme Tourtaud de Septeuil), étant revenue à elle, fut emmenée de la cour ; il n’y restait plus que moi, qu’on vint prendre peu de temps après.

« Je savais que les prisonniers étaient menés tour-à-tour au peuple qui était attroupé aux portes de la prison, et qu’après avoir subi une espèce de jugement, on était absous ou massacré. Malgré cela, j’avais le pressentiment qu’il ne m’arriverait rien, et ma confiance fut bien augmentée, lorsque j’aperçus à la tête des gens qui me venaient chercher, le même homme qui m’avait donné des nouvelles de Pauline ; je pensai que celui qui était déjà mon libérateur, puisqu’il m’avait rassuré sur le sort de mon enfant, ne pouvait devenir mon bourreau, et qu’il n’était là que pour me protéger. Cette idée ayant encore augmenté mon courage, je me présentai tranquillement devant le tribunal. Je fus interrogée pendant environ dix minutes, au bout desquelles des hommes à figures atroces s’emparèrent de ma personne ; ils me firent passer le guichet de la prison ; et je ne puis vous exprimer le trouble que j’éprouvai de l’horrible spectacle qui s’offrit à moi.

« Une espèce de montagne s’élevait contre la muraille ; elle était formée par les membres épars et les vêtemens sanglans de tous ceux qui avaient été massacrés à cette place, et une multitude d’assassins entouraient ce monceau de cadavres : deux hommes étaient montés dessus ; ils étaient armés de sabres et couverts de sang : c’étaient eux qui