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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

m’en dût arriver ; elle ne pouvait pourtant pas faire autrement, se mirent-ils à dire, mais c’est bien malheureux, ajoutèrent quelques-uns, d’être attaché à des gens qui font de mauvaises actions ! Je parlai long-temps avec ces hommes ; ils me paraissaient frappés de tout ce qui était juste et raisonnable, et je ne pouvais m’empêcher de m’étonner que des gens qui ne semblaient pas avoir un mauvais naturel, vinssent froidement commettre des crimes que l’intérêt et la vengeance auraient peine à se permettre. Pendant notre conversation, un de ces hommes aperçut un anneau que je portais à mon doigt, et demanda ce qui était écrit autour ; je le tirai et le lui présentai ; mais un de ses compagnons, qui commençait apparemment à s’intéresser à moi, et qui craignait qu’on ne découvrît sur cet anneau quelque signe de royalisme, s’en saisit et me le rendit en me disant de lire moi-même ce qui était écrit et que l’on m’en croirait ; alors je lus : Domine, salvum fac Regem et Reginam et Delphinum ; cela veut dire en français, ajoutai-je : Dieu sauve le Roi, la Reine et le Dauphin ! Un mouvement d’indignation saisit tous ceux qui m’entouraient, et je manquai perdre la bienveillance qu’ils commençaient à me montrer. Jetez cet anneau à terre, crièrent-ils, et foulez-le sous vos pieds. C’est impossible, leur dis-je, tout ce que je puis faire, c’est de l’ôter de mon doigt, si vous êtes fâchés de le voir, et de le mettre dans ma poche ; je suis attachée à Monsieur le Dauphin, parce que depuis plusieurs années je prends soin de lui et je l’aime comme mon