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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

entrâmes dans cette horrible prison. On nous fit d’abord passer dans l’appartement du concierge, afin d’inscrire nos noms sur le registre, et je n’oublierai jamais qu’un individu fort bien mis et qui se trouvait là, s’approchant de moi, qui étais restée seule dans la chambre, me dit : Mademoiselle, votre position m’intéresse ; je vous donne le conseil de quitter ici les airs de cour que vous avez, et d’être plus familière et plus affable.

« Indignée de l’impertinence de ce monsieur, je le regardai fixement et lui répondis que telle j’avais été, telle je serais toujours ; que rien ne pourrait influer sur mes sentimens ni mon caractère, et que l’impression qu’il remarquait sur mon visage n’était autre chose que l’image de ce qui se passait dans mon cœur indigné des horreurs que nous voyions ! Il se tut et se retira l’air fort mécontent.

« Ma Mère entra alors dans la chambre, mais, hélas ! ce ne fut pas pour longtemps ; nous fûmes toutes les trois séparées. On conduisit maman dans un cachot, et moi dans un autre. Je suppliai d’être réunie à elle ; mais on fut inexorable.

« Le guichetier vint m’apporter une cruche d’eau. C’était un très bon homme. Me voyant au désespoir d’être séparée de ma Mère et ne sollicitant au monde que d’être réunie à elle, cela le toucha, et ce pauvre homme cherchant à adoucir ma peine, me laissa son chien, afin, me disait-il, de me donner une distraction. Surtout ne me trahissez pas, me dit-il, j’aurai l’air de l’avoir oublié par mégarde.