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vous savez qu’autant j’aime le grand air, autant je déteste les courans d’air. Dès que je voulais ouvrir ma lucarne, il s’établissait un tyran, comme dit le Duc de Laval, entre ma croisée qui s’ouvrait au nord, et le haut de la porte qui se trouvait en face ; lequel imposte était formé d’un large panneau vide, au moyen duquel, en montant sur une chaise, on pouvait regarder ce qui se passait dans ma chambre a toute heure du jour et de la nuit : ceci ne manquait pas d’arriver souvent, et notamment aux enfans du gargotier qui me jetaient quelquefois des ordures. Je ne pouvais donc ouvrir la fenêtre sans me trouver dans un courant d’air, et je ne pouvais la laisser fermée sans me trouver suffoquée par l’infection d’un long corridor où l’on faisait perpétuellement la cuisine à la grillade et l’ognon fricassé. C’était là que se tenaient habituettement les porte-clefs avec des chiens épouvantables, des sans-culottes en crédit et des voleuses privilégiées. C’était tout à la fois le corps-de-garde et le mauvais lieu, le chenil, la tabagie, la cantine et le garde-manger de notre division, sans parler du voisinage des commodités qui nous empestaient ; c’était la Cloaca massima de la république française ? Tous les bruits journaliers et toutes les rumeurs nocturnes de cet affreux corridor venaient me tomber d’aplomb sur la tête et les oreilles par l’ouverture de ma porte, auprès de laquelle était mon lit sans rideaux. Les quatre murailles de ma geôle étaient charbonnées de figures et d’inscriptions que je ne pouvais effacer, parce que je n’y pouvais atteindre. Je ne pus jamais prendre ur moi de solliciter un pareil service de