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SOUVENIRS

de combattre cette sorte d’illusion qui n’est jamais sans danger quand un gouvernement n’est pas légitime et ne saurait être équitable, par conséquent.

Vous pensez bien qu’on ne savait que faire et qu’on s’ennuyait en attendant ce commissaire, qui ne vint pas nous interroger, au surplus, car il avait appris que c’était une fausse alerte, et l’on nous reconduisit au poulailler comme un troupeau d’oies, dans la soirée du lendemain (qui était un décadi de je ne sais quel mois d’hiver, où il faisait un temps de loup). Nous vîmes arriver par la rue Cassette une troupe de sans-culottes qui devaient nous escorter jusqu’aux Oiseaux, ce qui n’était pourtant pas loin des Carmes, et le chef de l’escorte était Mlle  Théroigne de Méricourt avec une pique à la main. Comme elle avait sur la tête un petit drapeau tricolore en forme de girouette carrée, qui était de la grandeur d’une feuille de papier à lettre, et qui était fiché dans son bonnet de grenadier, à poils noirs, et comme c’était-là son privilége personnel, on ne pouvait s’y méprendre ; mais, du reste, elle ne nous dit aucune injure, ce qui tenait peut-être à ce qu’elle ne pouvait parler, et ne faisait que tousser, à cause d’un gros vilain rhume qu’elle avait eu tort de négliger, car elle est morte six semaines après[1].

Je vous ai fait sortir de la prison des Carmes un

  1. C’était une erreur qui fut publiée par le Journal de Paris et qui fut accréditée par la disparition de cette créature. Elle était tombée subitement dans la démence la plus furieuse ; elle avait blessé d’un coup de couteau la femme du député Le Carpentier, et deux commissaires de la Convention la conduisirent à la Salpétrière où elle n’est morte qu’à la fin de l’année 1817.