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SOUVENIRS

quelque mauvais livre, une à une et feuille par feuille ; j’entendais que ce fût un assez mauvais livre pour ne pas être confisqué par un envoyé du comité de Salut public ; mais je tenais par-dessus toute chose, à ce que ce ne fût pas un assez mauvais livre pour me faire commettre un acte profanatoire ou même une sorte d’irrévérence en en faisant un pareil usage ; enfin je me décidai pour un exemplaire du Contrat Social dont l’auteur m’avait fait présent, et que j’avais fait venir aux Oiseaux pour le prêter à la Duchesse de Choiseul, parce que tous ses effets avaient été mis sous les scellés, et qu’elle n’en voulait pas moins ruminer droit naturel et philosophie moderne. Le Contrat Social avait toujours été l’objet de mille disputes entre son auteur et moi, et s’il avait pu supposer que je me trouverais jamais dans le cas ou la nécessité de faire de son mauvais livre un emploi qui fût analogue à celui d’un saint-ciboire, il aurait été furieusement surpris, mon pauvre Rousseau ! Que devant le bon Dieu soit son âme.

Quant à l’Abbé Texier, je ne pouvais regarder ce vertueux et courageux prêtre sans me rappeler cette grande scène où tous les députés du clergé de France avaient refusé de prêter serment à la constitution schismatique de M. de Talleyrand. — À la lanterne ! criait-on dans les couloirs de l’Assemblée nationale. — À la lanterne ! criait-on jusque dans les tribunes. — M. l’Évêque d’Agen, vous êtes réquis de prêter serment ! — M. le Président, je le refuse ! M. l’Abbé Texier, prêtez serment ! — Je le refuse… Et les égorgeurs étaient à la porte ; et l’Abbé Maury leur disait avec le ton du mépris :