Page:Créquy - Souvenirs, tome 8.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
SOUVENIRS

plus inférieure, avec assez de facultés intellectuelles et d’élévation dans les sentimens, avec une vanité prodigieuse et je ne sais quoi de passionné dans son amour de soi : elle écoute avec une curiosité quelques discours philosophiques, elle se procure des livres dangereux, et comme elle n’est environnée que des gens les plus bornés ou les plus ignares, son prétendu savoir la gonfle, l’orgueil fermente et s’exalte, enfin le jugement s’obscurcit, et sa raison, ses sentimens et son imagination finissent par tomber dans un délire habituel. Voilà toute l’histoire de Mlle  Flipon jusqu’à l’époque de son mariage avec M. Roland de la Platière qui n’était pas moins orgueilleux ni plus habile que son épousée.

Par suite de ces bonnes dispositions, à la suite de ses bonnes lectures et de sa bonne éducation, on concevra facilement qu’une demoiselle qui ne pouvait jamais « entendre le son de sa propre voix sans avoir le cœur ému d’attendrissement, et qui ne pouvait jamais se regarder et s’écouter parler ou chanter sans enthousiasme », était devenue d’une arrogance intraitable. Ce n’était pas seulement les supériorités de convention qui la révoltaient, c’était les prétentions les moins ambitieuses à l’égalité la plus naturelle ; et quand un jeune artiste, un légiste, un littérateur osaient aspirer à la main de Mademoiselle Flipon, leurs prétentions ne lui paraissaient pas moins insupportables et moins insensées que les Honneurs du Louvre ou les droits de Committimus. Au demeurant, cette exigeante et dédaigneuse personne a grand soin de nous avertir