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SOUVENIRS

les garçons des mécontens ; il y avait parmi les jeunes filles des marques de préférence et des résistances ; enfin c’était une affaire à vider entre l’égalité naturelle et la liberté individuelle, tout se disposait pour le pugilat, et les gardes nationaux furent obligés d’intervenir pour séparer les futurs conjoints qu’on aligna sur deux colonnes et qu’on a mariés malgré qu’ils en aient, en suivant la fatalité de leur numéro de situation. Je ne crois pas que l’ancien régime ait jamais produit un pareil acte d’arbitraire ? mais « la liberté consiste à fléchir volontairement sous le niveau de l’égalité.  » Voilà ce que leur dit Fouché dans sa harangue, afin de les disposer à l’obéissance et les entretenir dans la jubilation patriotique.

Il y eut un grand souper donné sur l’herbe et sous les voûtes de la nature. Les vins, les viandes avec les couteaux, les gobelets, et tous les objets nécessaires à la confection du banquet, avaient été fournis et transportés par voie de réquisition sur la plaine de l’égalité, où s’est engloutie toute la provision si méthodique et si bien rangée des caves du château de Nevers ; et, ce qui contrariait beaucoup plus M. de Nivernais, toutes les belles porcelaines d’Europe et d’Asie qu’il avait en collection.

À présent, laissez-moi vous achever l’histoire de la jolie paysanne de Donzy, qui est aujourd’hui la citoyenne M… et qui jouit (pour le moment) de quarante mille écus de rente en Nivernais et en Donzois. Si monsieur son époux avait joué de bonheur et croyait avoir obtenu le gros lot, elle avait eu celui de tomher avec un grand garçon qui ne rê-