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Elle était si pâle et défigurée que j’aurais eu peine à la reconnaître ; elle demeura sans parler pendant quelques minutes en me regardant le plus tristement du monde. Ne souffrez-vous point d’être si mal couverte et si mal couchée ? me dit-elle. Et puis, sans attendre ma réponse, elle se mit à parler du danger qui menaçait la république et l’existence des vingt-deux Girondins. Elle me dit qu’elle écrivait ses Mémoires, et qu’elle désirait me les soumettre, ce qui me fit tressaillir d’impatience et d’irritation préventive, ainsi qu’on dirait au Palais.

— Eh mon Dieu ! quelle sorte de consolation pourriez-vous recevoir de cela ? lui répondis-je ; et quelle satisfaction pourriez-vous attendre de la contrariété qui ne manquerait pas d’en résulter pour moi ? Je suis restée de mon temps et de mon pays ; je ne suis ni une Grecque ni une Publicole ; je suis une vieille française aristocrate et catholique ; ainsi, vous et moi ne saurions pas plus nous accorder sur les choses et les personnes que sur les causes et les effets. C’est la tolérance pour le philosophisme et l’impiété qui nous a perdus !

— Faut-il, me dit-elle, qu’une personne aussi spirituelle que vous reste asservie à des préjugés si misérables ?

— Hélas ! ma chère dame, je pourrais vous témoigner la même surprise, lui répliquai-je ; je n’aurais qu’à changer le mot préjugé pour celui d’erreur et d’illusion, si ce n’est d’opiniâtreté coupable !…

Elle voulait absolument écrire à Roberspierre pour lui reprocher sa perfidie et pour le faire rougir, disait-elle.