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SOUVENIRS

de la résistance des geôliers, on la laissa monter sur la fatale charrette à côté de son mari, et deux heures après ils n’existaient plus ! Cette vénérable femme n’avait pas été comprise dans le mandat d’amener de l’accusateur public ; elle avait passée par-dessus le marché dans la livraison du tribunal au bourreau pour ce jour-là.

Ce fut aussi le même jour que M. Roucher, l’auteur du poème des Mois, se trouvait sur le banc des accusés. Il s’aperçut qu’un jeune peintre de ses amis dessinait son profil et ne douta pas que ce fût pour sa famille à laquelle il écrivit au crayon ces vers touchans

Ne vous étonnez pas, objets charmans et doux,
Si quelque air de tristesse obscurcit mon visage ;
Lorsqu’une main savante esquissait mon image,
L’échafaud m’attendait, et je pensais à vous.

La Princesse de Carency n’était pas d’une résolution si courageuse ; elle eut la faiblesse de se dire enceinte, afin de reculer l’exécution de son arrêt de mort ; elle avait fini par en perdre la tête, ou peu s’en fallait, car elle essayait toujours de s’empoisonner en faisant infuser des centimes et des épingles dans du vinaigre, ce qui n’aboutissait qu’a lui donner des coliques affreuses ; ensuite on accourait pour nous requérir de livrer notre pitance de lait pour en faire boire à Mme  de Carency qui venait encore de s’empoisonner. Comme le lait était notre principale nourriture, on finit par se révolter, en lui faisant dire que pour la prochaine fois on la lais-