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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

bords et des rasades d’eau-de-vie qu’il envoyait acheter au cabaret et chez l’épicier du coin, pour économiser ma cave et les provisions de mon office. Ces deux malheureux ne voulaient manger que des salaisons, des viandes fumées et des épices ; on leur donnait tous les jours un gros jambon et une merluche grillée, un fromage de Hollande et je ne sais combien de harengs-saurs ; mais c’était surtout de moutarde aux anchois qu’ils étaient singulièrement affriandés, car ils en couvraient des tartines. On finit par être obligé de les faire conduire à l’hospice de la république, ci-devant l’Hôtel-Dieu, où je ne doute pas qu’ils n’aient fait pénitence de leur goinfrerie sauvage. (Il est assez connu qu’on y faisait quelquefois du bouillon pour les malades avec des têtes de mouton, des tranches de cheval et des quartiers de chiens, des moineaux et des chats.)

On m’envoya deux autres sectionaires qui nous agréaient beaucoup mieux parce qu’ils dormaient toute la nuit et la meilleure partie de la journée. Je me souviens que l’un de ces deux hommes avait nom Poucedieu. Les Dupont le trouvèrent un jour de pluie dans mon premier salon, qui ouvraient de grands yeux ; – Qu’est-ce que c’est donc que ça ? dit-il en leur montrant le dais ; c’est comme un ciel de lit…

— Et voilà justement ce qu’il en est, lui répliqua Dupont ; on en a retiré le bois de la couchette pour en faire une manière de trône où nous devons mettre la statue de la liberté avec le buste de Pettetier-Saint-Fargeau…

— Ah ben, ça n’est pas si bête, pour une vieille