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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

Mme  Roland me parut encore assez belle, mais il me sembla que ses manières et son langage étaient devenus très-ignobles et risiblement affectés. Elle disait, par exemple, avec un air de satisfaction prétentieuse : — À l’heureux, l’heureux,dans le tems, pour alors, — d’encore en encore et faite excuse ; — nous deux le ministre, et c’est embêtant, enfin cent autres locutions de la vulgarité la plus insipide ou de la trivialité la plus dégoûtante. Je me souviens notamment qu’elle parla d’un citoyen à qui l’on avait chippé sa carte de sûreté, et qu’elle me demanda si je connaissais leur ami Barbaroux, qui était beau à lui courir après. Jugez du ton qu’elle avait pris dans ses relations révolutionnaires et ses intimités girondines ; car, en vérité, ce n’est pas ce ton-là qu’elle avait quelques années auparavant, ou du moins elle avait eu la vanité bien placée de s’observer, de se contenir et de ne pas s’exprimer ainsi devant une personne de bon goût. — Voilà donc la femme d’un ministre de la république ? disais-je en moi-même. On descend toujours et l’on marche vite en révoution ! Pour le ton du monde et les traditions polies, il y avait aussi loin de Mme  Roland à Mme  Necker, que de Mme  Necker à la Duchesse de Choiseul ; imaginez ce que devait être la femme du ministre de la justice, la citoyenne Danton, à qui madame Roland paraissait une précieuse aristocratique et comme une sorte de princesse.

À leur manière de me parler de ce misérable aventurier, c’est-à-dire de mon dénonciateur, je vis tout aussitôt que je n’avais aucune justice à espérer de ces gens-là ; aussi je me contentai de leur dire,