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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

Il est à remarquer que ces villageois incendiaires n’étaient presque jamais des vassaux directs ; ils se disaient réciproquement : — Vous viendrez brûler le château de notre Dame, et nous irons brûler celui de votre Seigneur.

Il n’y avait pas une seule de ces troupes qui n’eût été ameutée, ni une seule de ces exécutions qui ne fût dirigée par quelque bourgeois de petite ville. Les justiciers provinciaux avaient commencé par établir des poursuites, mais l’Assemblée nationale y trouva mille fins de non-recevoir, et sur la proposition de maître Lanjuinais (professeur en droit), on a fini par décerner à tous ces meurtriers et tous ces voleurs incendiaires et démolisseurs de châteaux, une amnistie patriotique.

Les officiers-municipaux de Jougnes, en Franche-Comté, écrivirent un jour au comité des Recherches qu’ils venaient d’arrêter une grande et belle personne qui voyageait mystérieusement dans un gros carrosse sans armoiries (ce qui leur avait paru suspect), et sans nulle autre suite qu’une jeune femme de chambre avec un laquais, dont la figure avait quelque chose de très impertinent. Ils avaient commencé par fouiller cette grosse voiture, et ce qu’ils y trouvèrent était bien fait pour encourager leurs suspicions. C’était quatorze mille livres en double louis, une manière de sceptre, une couronne, un manteau d’hermines et des habits si richement brodés qu’ils ne doutèrent pas que ce ne fût la Reine qui voulait émigrer en Suisse. On ne voulut tenir aucun compte de son passeport ; on agita la question de savoir s’il ne serait pas convenable et prudent d’aller reconduire