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Franc-Comtois qui le servait à table, et qui n’avait pas d’autre emploi dans sa maison. Le domestique se met à balbutier… — Ennemi de ton maître, s’écria-t-il en furie, je veux mon gobelet ! Va-t’en me chercher mon gobelet ! Je veux boire dans mon gobelet ! ou je ne dînerai pas ! Et voyant que le gobelet ne se trouvait point, il se lève en jetant sa serviette au milieu de la table, et il s’enfuit dans sa chambre où il se renferme à doubles verrous. Mme Denys, M. de Villette et sa marquise, assistés de tous les d’Argental et les Mignot, furent successivement le supplier de vouloir bien redescendre, et tout au moins de leur ouvrir sa porte, mais il ne répondait pas une parole ; et comme on imagina qu’il avait pu s’évanouir de colère, on prit le parti d’appliquer une échelle à la fenêtre de son cabinet, et d’y faire monter un certain M. de Villevieille, qui rompit une vitre et tourna l’espagnolette afin d’entrer dans l’appartement.

— C’est vous, mon tout aimable, lui dit Voltaire avec une douceur parfaite ; eh bien, puisque vous voilà, causons tranquillement, parlons raison, venez vous asseoir, et dites-moi ce que vous voulez.

— Je viens, au nom de tous vos amis désolés, vous supplier de vouloir bien descendre.

— Mais c’est que je n’ose, mon bon ami, on va se moquer de moi.

— Ne croyez donc pas cela, Monsieur, tout le monde a ses idées possessives, on tient à son verre, à sa plume, à son couteau, rien n’est si naturel !

— Mais peut-être que vous cherchez à m’excuser à mes propres yeux ? reprit-il avec un air ou-