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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

un astre, épousa le plus tristement du monde un Seigneur bas-breton qui ne disait pas quatre paroles en quarante-huit heures. On prétendait qu’il ne savait parler qu’en celte cambrique et en latin, mais toujours est-il que je ne lui ai jamais entendu dire autre chose en français que : — Non, Monsieur ; et — Oui, Madame.

Tandis que son mari vivait, Mme  de Rochefort n’allait jamais à l’hôtel de Nevers, et jamais elle n’a voulu recevoir M. de Nivernais du vivant de sa femme. C’est quand ils se sont retrouvés l’un et l’autre en liberté de s’épouser, qu’elle a fléchi dans sa règle de conduite et peut-être aussi dans son dépit amoureux, car elle avait gardé rancune à M. de Nivernais pendant 14 ans. Je crois bien que de toutes les personnes que j’ai connues ou rencontrées, Mme  de Rochefort était la plus proche de la perfection ? Toujours douce et modeste, bienveillante et soigneusement polie, elle était habituellement silencieuse ; mais pour peu qu’elle fût émue de parler avec effusion, ce qui ne manquait pas d’arriver sur toutes les choses de cœur et de générosité, c’était alors un Démosthènes en paniers, un Cicéron femelle, et la chair de poule en avait pris au fameux Gerbier ! C’était, disait-il, un jour qu’elle avait été le consulter et lui parler pour la Comtesse de Forcalquier, à qui M. son mari venait d’appliquer un soufflet qui fit grand bruit. Depuis la tragédie de Pierre Corneille et la vengeance du Cid, aucun soufflet n’avait eu autant de retentissement que celui de Mme  de Forcalquier, qui, comme on sait, voulut absolument le rendre à son mari parce que les avocats