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SOUVENIRS

« Il arriva que mon grand-père eut quelques réclamations à poursuivre auprès du Conseil suprême des Indes, et c’était une bonne occasion pour me faire connaître à nos correspondans de Madrid. Il m’annonça son intention de m’expédier en Castille, et je fus enchanté d’aller respirer le grand air, en dehors des grillages de notre comptoir et de la poussière de nos magasins.

« Lorsqu’on eut disposé toutes les écritures et les documens indispensables pour mon voyage, mon grand-père me fit entrer dans son cabinet et me tint ce discours :

« — Je vous ai déjà dit que je vous regardais comme mon principal héritier, et qui plus est, comme si vous étiez mon associé ! Vous saurez que Madrid est une place de commerce où les négocians ne sont pas comme ici les premiers de la ville ; j’ajouterai qu’ils ont besoin d’une conduite prudente et bien réglée pour ne pas y compromettre la dignité d’une profession qui contribue si puissamment à la gloire et la prospérité de leur pays.

« Voici trois préceptes que vous observerez fidèlement, sous peine d’encourir mon indignation.

« Premièrement, je vous ordonne d’éviter la compagnie des Nobles. Ils croient nous faire beaucoup d’honneur lorsqu’ils nous font la révérence et nous adressent quelques mots de politesse ; il ne faut pas les entretenir dans cette illusion-là. Vous pensez bien que notre crédit, ou, si vous voulez, notre mérite, est tout-à-fait