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monde ; et comme il ne finissait pas de trépigner, rugir et tempêter, M. de Craon s’en vint dire à Voltaire : — Monsieur, rendez-nous le service de vous laisser faire ; ayez la bonté de vous laisser couronner : et ce disant, il y procéda sans autre cérémonie ; M. de Voltaire resta coiffé de cette manière tout le reste de la soirée, et chacun trouva que l’effet de cette couronne olympique sur une si grande perruque et sur un si petit visage avait quelque chose de bien étonnant.

La tragédie ne fut ni bien écoutée ni fort applaudie ; mais, entre les deux pièces, il y eut un bel intermède imprévu comme la couronne. On releva la toile, et l’on vit tous les comédiens, les comédiennes, et les autres employés de ce théâtre, qui tenaient des palmes d’osier, des bouquets, des guirlandes et autres artifices en papier de couleur, et tous ces honnêtes gens se dessinaient en belles postures autour d’un buste de M. de Voltaire, lequel était couronné d’étoiles d’or et guindé sur un fût de colonne. On sonna des fanfares, on récita des vers ; et Mme Vestris, grosse et grasse actrice, qui grasseyait à la rouennaise, et qui venait de jouer le rôle d’Irène en habit de Chinoise, Mme Vestris se mit à déclamer un morceau de poésie composé pour la circonstance, avec une emphase égale à l’extravagance du reste de la scène. C’étaient des vers de M. de Saint-Marc, et je vous dirai que M. de Saint-Marc était encore un marquis de contrebande, qui rimait à la suite de l’Encyclopédie. Il était l’auteur d’un poème sur le langage des fleurs sans soucis, disait-il, on pourrait ajouter sans pensées, et je me