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SOUVENIRS

ner la salade avec ses doigts, et quand elle allait donner, après souper, de petits soufflets à son Stanislas (les prénoms ont toujours été beaucoup plus simples que les noms de famille, et bien autrement naturels que les titres) ! on entendait le mari qui lui disait amoureusement et délicieusement : — Ô l’appétissante amie de mon cœur ! quelle odeur de bon poivre, de fines herbes et d’excellent vinaigre à l’estragon ! tes jolies petites mains sont à croquer[1] !

Le temps des singularités grandioses et des originalités piquantes était passé. La bizarrerie qui se montrait sous toutes les formes était sans esprit, sans élévation, sans bonne foi, l’on pourrait dire, et par conséquent sans grâce naturelle et sans agrément. Comme la bizarrerie était devenue presque générale, elle était dépourvue d’intérêt et de curiosité pour les autres. Personne ne ressemblait à rien ; mais on se montrait dégingandé, dépenaillé, risiblement égoïste, etc., sans paraître original, et si l’on voyait pointer quelque ridicule hors de niveau, qui se détachait sur cet horizon de maussaderie terne et mesquine, c’était à grand’peine. Je vous parlerai néanmoins de la famille de Villiers, à la-

  1. On doit supposer qu’il est question de la femme du Comte Stanislas de Clermont-Tonnerre, née de Rosières-Soran, et depuis Marquise de Talaru, laquelle était cousine-germaine de Mme de Créquy, née du Muy et belle-file de l’auteur. Madame de Talaru est morte à Paris en 1852 en y laissant tous les souvenirs et tous tes regrets qui peuvent résulter d’un esprit distingué, d’une âme élevée, d’un excellent cœur et du caractère le plus généreux.
    (Note de l’Éditeur.)