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SOUVENIRS

M. le Comte d’Artois raconta le lendemain qu’ils étaient allés voir, cinq ou six jours auparavant, le pavillon de Bagatelle que ce prince a fait construire dans le bois de Boulogne, et que son valet-de-chambre concierge avait été bien étonné de les y voir s’arrêter subitement dans la salle à manger devant une figure de Pomone, se regarder entre eux, s’embrasser avec beaucoup d’émotion, et verser des pleurs avec une abondance intarissable. Quand les frères Potoski furent un peu revenus de cet attendrissement, ils dirent à leur guide que c’était parce que cette statue ressemblait à une de leurs cousines qui demeurait en Pologne et dont ils étaient amoureux tous les quatre ; mais qu’il n’y avait, disaient-ils, que le plus jeune et l’aîné qui en fussent traités aussi favorablement que des amoureux peuvent désirer de l’être. M. le Comte d’Artois avait trouvé la chose tellement divertissante, qu’il leur avait fait envoyer un plâtre de ladite statue, dont l’original est une belle figure de Jullien. Mme  de Lamballe nous dit aussi qu’ils avaient fait demander à voir la collection du Palais-Royal, et qu’ils avaient répandu des torrens de larmes en regardant plusieurs tableaux du Corrége et du Dominicain ; enfin, quand ils se trouvèrent dans la galerie du Luxembourg, et qu’ils y virent les chefs-d’œuvre de Rubens, leur désolation fut inexprimable. Ils allaient s’aventurer fort imprudemment pour faire un voyage en Italie, pays de la musique et de la peinture, où je ne doute pas qu’ils ne soient morts d’enthousiasme et d’attendrissement. C’étaient du reste quatre Polonais bien élancés, et vêtus comme d’uniforme en taffetas