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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

Il se trouvait dans cette petite affaire de la maison de Guéménée, un déficit, ou si l’on veut, un mécompte de trente-quatre millions[1], et quand on eut traduit la chose en langage vulgaire ou nobiliaire, et quand on eut compris qu’un si haut et puissant seigneur que M. de Guéménée avait emprunté de l’argent qu’il ne pouvait et qu’il aurait dû payer honorablement, il en résulta parmi la haute noblesse une sorte d’oppression fiévreuse, entrecoupée de soulèvemens généraux d’une grande amertume.

— Avoir emprunté leurs épargnes à des couturières, à des ouvriers, à de pauvres gens qui se trouvent sans pain ! et cela pour se laisser voler par un scélérat d’intendant qui devait employer ces tas de millions à retraire des seigneuries et dégager des terres nobles en amortissant de vieilles censives ! M. de Guéménée mériterait d’être interdit et dégradé de noblesse ! Le parlement a fait séquestrer ses revenus, et la parlement a bien fait !…

Jugez quel était l’excès d’une exaspération qui pouvait aboutir l’approbation d’un arrêt du par-.

    tendu qu’il avait perdu plus de cent mille livres en émigration, par le fait d’un Hambourgeois qui avait déposé son bilan.

  1. M. de Staël, Ambassadeur de Suède, avait l’habitude de parler d’après les Necker, et c’était souvent un inconvénient pour lui. Il avait dit je ne sais plus quoi de malséant sur cette affaire, et Mme de Béthisy lui dit : — Mon cher baron, vous venez de parler comme un banquier, je désirerais pour le Roi, votre maître, qu’il eût assez de crédit pour faire une pareilles banqueroute !
    (Note de l’Auteur.)