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SOUVENIRS DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

un état de maison convenable avec une pareille fortune, et, dur reste, aucun goût dispendieux, aucunes fantaisies ruineuses et nulle espèce d’apparat désordonné. On disait quelquefois qu’ils empruntaient de l’argent à charge de rentes viagères, mais à la cour et dans le monde, on ne prenait pas garde à ces sortes de propos qu’on n’écoutait guère et dont on ne souvenait jamais. À l’occasion d’un homme du monde ou d’une femme de qualité, quand on avait ouï dire, il est riche, elle est pauvre, ou bien ils sont à leur aise, on n’y songeait plus, et pourvu que les gens fussent en état de paraître convenablement, on n’en savait et n’en exigeait pas davantage. Avant la révolution de 93 et les misères de l’émigration, juste ciel et Dieu de St-Louis ! si l’on avait rencontré des gentilshommes qui se fussent montrés en agitation pour le cours des rentes et préoccupés des choses d’argent, on les aurait envoyés dans la rue Basse ou dans le faubourg Poissonnière. Les financiers qui vivaient et rêvaient de chiffres, n’en parlaient pas plus que nous autres et s’en gardaient bien ! La considération pour les personnes du monde était réglée d’après la noblesse de leur naissance et celle de leur caractère, car le rang, proprement dit, n’y suffisait pas toujours ; leur importance dans l’opinion publique était quelquefois appuyée sur celle de leurs emplois, mais la faveur y nuisait plutôt que d’y servir, et dans tous les cas, la considération personnelle était tout-à-fait indépendante de la richesse. Je vous assure que personne ne s’occupait et ne parlait de la fortune des autres, à moins qu’il ne fût question d’un mariage, et vous pouvez bien