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SOUVENIRS

m’occuper que de votre opéra d’Orphée, et c’est dans cette pièce-là que je vous ferai débuter. Vous avez l’air si profondément sensible et si mélancolique, que vous souffrez certainement de quelque peine du cœur, je n’en saurais douter. Soyez assuré qu’on peut trouver dans les grands succès d’amour-propre et principalement dans ceux du théâtre, une consolation puissante, et tout au moins une distraction salutaire, contre les regrets et les ennuis d’une passion malheureuse… Le jeune homme ne voulut entrer dans aucun détail personnel et demanda seulement quelques jours de réflexion.

« Monsieur le Chevalier, lui répondit-il au bout d’une huitaine, il me faut renoncer à voir mon Orphée sacrifié par les Ménades et honoré par vos accords sublimes. J’ai fait mon possible pour l’étendre jusqu’à trois actes, ainsi que vous me l’aviez conseillé, mais il n’y a gagné que de la bouffissure ou du vide enflé, qui ne vous satisferait certainement pas. C’est à quoi s’est écoulé tout le temps que j’ai perdu depuis que j’ai eu l’honneur de vous voir.

« J’avoue, Monsieur, que le seul désir de ne pas vous contrarier m’avait fait promettre de réfléchir à la proposition de me vouer au théâtre. Je sais que les philosophes ont l’air d’estimer les comédiens, et je trouve que ce talent n’est pas moins rare que celui du peintre ou du poëte. Je sais qu’un homme qui l’exercerait avec honneur ne serait pas indigne d’estime, et que certaines maisons qui sont ouvertes à ceux qui se distinguent