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les jambes enflées, et que le docteur Tronchin l’avait envoyé se mettre au lit, en disant que, s’il ne changeait pas de régime, il n’avait pas huit jours à vivre.

On apprit aussi que M. de Voltaire avait été cruellement désappointé de ce que l’Empereur Joseph n’avait pas voulu s’arrêter à Ferney pour y voir ce grand philosophe, et que c’était en exécution de la promesse qu’il en avait faite à l’Impératrice sa mère, attendu que la digne et judicieuse Marie-Thérèse a toujours regardé Voltaire comme étant le contempteur de la divinité, et par conséquent l’ennemi de l’humanité.

Mme Necker avait permis à son autre acolyte, le docteur Francklin, d’amener avec lui M. son petit-fils, âgé de quatre ans, et par une sorte d’adulation ridicule, il supplia Voltaire de lui donner sa bénédiction. Le patriarche de Ferney, qui n’était pas moins dramaturge que le philosophe américain, se leva d’un air hiérophantique ; il imposa ses deux mains sur la tête de ce petit bon-homme, et se mit à crier à tue-tête avec une voix du diable enrhumé. Liberté, Tolérance et Probité ! Il faut convenir que le mot probité se trouvait bien placé dans la bouche de Voltaire, et surtout s’il y comprenait la probité historique et scientifique.

Mme du Barry vint prendre place à côté de Mme Necker, qui lui fit des politesses infinies, et M. de Voltaire acheva d’épuiser toutes ses formules de galanterie, de flagorneries et d’adoration. Il ne trouva rien de mieux séant que d’appeler Mme du Barry Votre Divinité, comme on dirait Votre Al-