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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

lue et tolérance universelle ! mais, quand ils en arrivent à l’application de leurs principes, on les trouve toujours astucieux et persécuteurs.

Écoutez une aventure du chevalier Gluck. Il nous disait un jour, à l’hôtel de Tessé, qu’un jeune homme de la plus belle physionomie, mais dont l’air était prodigieusement triste, était arrivé chez lui pour lui présenter, avec son hommage, une partition d’opéra qu’il avait composée sur le sujet d’Orphée déchiré par les bacchantes. Le poëme et la partition ne valaient pas grand’chose à son avis, mais il avait trouvé que la voix du jeune homme était si parfaitement belle et son expression tellement brillante ou attendrissante, avec à-propos, que ce grand compositeur en était resté saisi d’étonnement et d’admiration. Ce n’était pas des sons humains, disait Gluck, c’était comme un fluide éthéré qu’aurait épanché sans effort une source profonde et pure. — Prodigieux artiste ! dit-il à ce jeune homme en l’embrassant avec enthousiasme, la Providence a marqué votre destination naturelle ; entrez au théâtre, et vous serez le plus admirable chanteur qu’on ait jamais entendu ! — Monsieur, lui répondit le jeune homme avec un air modestement contrarié, je ne me soucierais pas beaucoup d’être comédien… — Comment donc, Monsieur, qu’est-ce que vous dites là, lui répliqua le directeur de l’Opéra français ; ouvrez les statuts et les archives de l’Académie royale de musique, et vous verrez que c’est un théâtre où l’on peut chanter sans déroger. Si vous suivez le conseil que je vous donne, je vous promets d’abandonner tous mes travaux pour ne