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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

rait pu dire quelle différence il y avait entre un bémol et un dièze ; et jusque dans le salon de musique de M. Trudaine, où tout le monde chantait faux. Les meilleurs amis et les amans se brouillaient, les parens se fuyaient, les enfans se battaient ; les bons dîners, dont le meilleur effet a toujours été celui de produire une indulgence réciproque, ne produisaient plus que de la colère ou la plus sombre défiance ; enfin, les bureaux d’esprit étaient devenus des arènes où l’on s’acharnait contre la séduisante Armide, ou la malheureuse Iphigénie du Chevalier Gluck, qu’on voulait absolument sacrifier à la Bonne Fille du Signor Piccini et vice versà.

On ne demandait plus : est-il janséniste ? est-il moliniste ? — est-il encyclopédiste ou dévot ? — est-il pour l’ordre profond de M. de Mesnildurant, ou pour l’ordre mince de M. de Guibert, auteur de la Tactique moderne ?

On se demandait : est-il du coin de la Reine ou du con du Roi ? et l’on accueillait les survenans bien ou mal, en conséquence de la réponse. Il en est résulté des méchancetés abominables : les enfans de Mme de Valbelle (c’est-à-dire Athénaïs et Gertrude, aujourd’hui Comtesses de Beauvoir et de Tilly), avaient mordu le petit d’Havrincourt parce qu’il était Picciniste ; et du reste, je vous dirai que ces deux petites de Valbelle étaient si méchantes, qu’elles mordaient les oreilles des chiens, et qu’elles allaient donner des coups de pied aux chevaux. On ne s’en douterait guère aujourd’hui, vous en conviendrez ; mais retournons à la musique. M. votre père avait fait passer Lauzun pour un Gluckiste auprès de