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SOUVENIRS

l’homme est libre ; mais j’ai toujours vu que les criminels étaient punis, mon Enfant, visiblement pour le plus grand nombre, et quelquefois découverts d’une manière si miraculeuse qu’il aurait fallu s’opiniâtrer dans l’aveuglement, pour ne pas y reconnaître la main de Dieu. Lisez le procès de cet abominable hypocrite, et lisez-le avec attention, je vous le recommande.

Quand on fut ennuyé des querelles sur la grâce efficace et sur le formulaire, où la majorité du public ne comprenait plus rien, parce qu’elle avait perdu la foi et parce que l’instruction théologique lui manquait, on s’était mis à disputer sur la musique, et ce fut avec d’autant plus de violence et d’emportement que le sujet de la querelle était plus frivole et plus étranger à ceux qui s’en mêlaient. L’horreur d’un Quesnelliste pour un Conformiste ne saurait donner aucune idée de celle d’un Lulliste pour un Ramiste, et ceci dura jusqu’à l’irruption des Gluckistes et des Piccinistes qui vinrent se ruer les uns sur les autres et se prendre aux cheveux, jusque dans les balcons et le parterre de l’Opéra. Ce fut à la première représentation d’une pièce intitulée la Bonne Fille, et depuis ce moment-là tous les esprits furent agités par la discorde. Elle était à domicile dans tous les cafés et les colysées, dans les jardins publics, et jusque parmi les politiques de l’arbre de Cracovie, à la petite Provence en automne, ou dans la salle des Cent-Suisses en cas d’orage. La discorde s’était introduite au bureau de Mlle Lespinasse, sanctuaire de la philosophie moderne ; à l’Académie française, où personne n’au-