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tragé, — je n’en ai pas besoin ; j’ai vu quelque part que le sage Locke était horriblement colère. Allons, descendez le premier, mais faites en sorte que cet exécrable Comtois ne paraisse pas devant moi ; j’en enragerais de fureur et j’en mourrais de chagrin.

Il reparut en faisant une moue d’enfant gâté ; il se rassit à table, et le dîner s’arrangea pour le mieux, après une heure et demie d’interruption.

Il fallait que toutes ces dames invitées par M. de Villette fussent bien parfaitement philosophes pour ne pas se montrer surprises ou choquées de cette algarade impertinente ? aussi bien, quand on me demanda si je ne comptais pas aller voir M. de Voltaire, répondis-je assurément que je n’étais pas devenue assez stoïcienne pour affronter patiemment les exigences et les brusqueries d’un vieux écolier ; qu’il fallait être une élève du Portique pour ne pas lui rompre en visière, et que rien ne pourrait m’empêcher de le repousser à la place où pendant près de soixante ans j’avais su le maintenir devant moi.

— N’ayez nulle inquiétude à cette occasion-ci, disait M. de Richelieu ; Voltaire a toujours eu de vos moqueries et vos exécutions des frayeurs mortelles ; il n’aura garde, et je vous en réponds, de rien dire et rien laisser dire en présence de vous qui vous puisse déplaire ou disconvenir.

— Il a commis des indignités que je ne lui pardonnerai jamais, répliquai-je à tous ces beaux compliments. Il a pris la peine de m’écrire pour me prévenir de son retour, en me disant qu’il serait bien