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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

par la mort de Gilbert est une invention philosophique. Il est vrai qu’il avait commencé par être malheureux, ce qui n’a rien de contraire à l’ordre naturel des choses, attendu qu’il était né très pauvre, et qu’un jeune poète ne gagne rien, quand il est inconnu ; mais à l’époque de sa mort, il était en pleine jouissance, et ceci depuis deux ou trois ans déjà, d’une pension de huit cents livres sur la cassette du Roi, d’une pension de cent écus sur le Mercure de France et d’une autre pension de cinq cent livres sur la caisse épiscopale des économats. Il recevait en outre, au nom de Mesdames, tantes du Roi, un mandat de six cents livres, que ces bonnes princesses lui faisaient adresser régulièrement pour étrennes. Aussitôt qu’on eut appris qu’il était malade et qu’il avait fait des dettes, on lui fit allouer par le ministère de la maison du Roi, une gratification de cinquante louis dont il est resté plus de la moitié dans son secrétaire. On y trouva même un papier qu’il avait écrit trois jours avant sa mort, et par lequel il avait fait un legs de dix louis à un jeune soldat aux gardes françaises, appelé Bernardote[1]. Vous pouvez être assuré qu’il est mort dans les sentimens de piété les plus édifians ; qu’il ne chercha pas à s’étrangler avec la clé d’une cassette ; qu’il n’est jamais entré comme malade à l’Hôtel-Dieu de Paris ; qu’il est mort dans sa chambre, rue de la Jussienne, et non pas à l’hôpital ; enfin, qu’il avait à l’époque de son décès un revenu bien assuré de deux mille deux cents livres tournois.

  1. On dit qu’il est devenu général de la République.