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SOUVENIRS

du sang dans les familles. C’était un ennuyeux livre, et son auteur était d’une cupidité si sordide et si dénaturée, qu’il avait vendu les papiers de famille de ses neveux, dont il était tuteur, à un nouvel enrichi qui s’appelait Despanat.

M. de Tymbrune avait envoyé prier l’Abbé d’Espagnac à souper chez lui, dans une petite maison qu’il avait auprès de l’École militaire, et c’était un lieu que je ne saurais qualifier. Quand les hommes les moins sévères et les jeunes gens les moins timorés en parlaient devant nous, c’était en échangeant entre eux des regards de mépris, et l’on a dit qu’il s’y passait des choses analogues aux réunions philosophiques d’Ermenonville.

La compagnie ne se composait pour ce jour-là que de M. le Duc d’Orléans, de Milord Hamilton, de MM. de Saisseval, de Boisgeslin, de Sillery, du Crest, de la Touche-Tréville, et de mon neveu de Lauzun, qui nous raconta les nouvelles de la soirée.

L’Abbé commença par demander le nom d’un vieux seigneur étranger qu’il ne connaissait pas, et qui se tenait tristement assis au coin de la cheminée ? On lui dit que c’était le Duc d’Hamilton, Premier Pair d’Écosse et Chevalier de l’ordre du Chardon. Il demanda curieusement s’il était riche ? et Lauzun lui répondit ; — D’où venez-vous donc pour ne pas savoir qu’il est plus riche que le Roi d’Angleterre ? Ensuite il se mit à lui parler d’autre chose, mais le Duc d’Orléans vint le reprendre en sous-œuvre, en disant que ce misérable Hamilton n’avait aucune idée philosophique, que c’était une pauvre tête, et qu’il voulait absolument se laisser mourir de chagrin