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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

des fois depuis ce temps-là. Je fis une déclaration dans la forme convenue. Le chapitre trouva naturel que, nous étant rencontrés tous les deux dans la Strada-Stretta, notre hostilité nationale et peut-être la difficulté de nous céder le pas eût dégénéré en querelle sérieuse. Je puis vous assurer que, devant les hommes, mon duel ne me fit aucune espèce de tort ; Foulquerre était généralement détesté, et l’on trouva qu’il avait bien mérité sa destinée. Mais il n’en était pas ainsi devant Dieu, car mon action était doublement criminelle, à raison du Vendredi-Saint, et surtout à cause du refus que je lui avais fait d’obtempérer au délai de trois jours pour qu’il pût recevoir les sacremens. Enfin ma conscience, d’accord avec mon confesseur, ne tarda pas à m’en faire un cruel reproche ; et ce fut trois jours après que notre Éminentissime Grand-Maître eut la bonté de m’investir de la dignité priorissale du royaume de Majorque, que je possède aujourd’hui.

« Dans la nuit du vendredi au samedi suivant je fus réveillé en sursaut. En regardant autour de moi, il me sembla que je n’étais ni dans mon appartement ni dans mon lit, mais dans la Strada-Stretta, et couché sur le pavé. J’aperçus le Commandeur appuyé contre le mur… Le spectre eut l’air de faire un effort pour me parler : Portez mon épée à Têtefoulques, me dit-il d’une voix défaillante, et faites dire cent messes pour le repos de mon âme dans la chapelle du château.

« La nuit suivante je fis coucher dans ma cham-