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SOUVENIRS

y troubler un jour comme celui-là, où tout le monde était occupé dans les églises. « Le Commandeur s’écria : — Comment ! Segnor Commandador, vous tirez l’épée ? — Oui, Monsieur le Commandeur, je tire l’épée ; je suis en garde, et je vous attends. Après une ou deux secondes il dégaina la sienne, mais il en baissa tout aussitôt la pointe : Un Vendredi-Saint ! dit-il. Il y a six ans que je ne me suis approché du confessionnal : je suis épouvanté de l’état de ma conscience ; mais si vous voulez, dans trois jours, c’est-à-dire lundi matin

« Je ne voulus rien entendre, et je le forçai de se mettre en garde. Je suis d’un naturel paisible, et vous savez que les gens de ce caractère n’entendent jamais raison quand ils sont irrités. La terreur était marquée dans tous ses traits. Il se plaça tout auprès du mur comme s’il avait prévu qu’il allait être renversé et qu’il eût cherché un appui ; ce qui n’était pas sans raison, car dès la première botte je lui passai mon épée au travers du corps.

« Il s’appuya contre la muraille, et me dit d’une voix défaillante : Un Vendredi-Saint ! Puisse le ciel vous pardonner ! Portez mon épée à Têtefoulques et faites dire cent messes pour le repos de mon âme dans la chapelle du château.

« Le Commandeur expira.

« Je ne fis pas dans ce moment une grande attention aux dernières paroles qu’il avait dites ; et si je vous les répète exactement aujourd’hui, c’est que je les ai entendues, malheureusement, bien