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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

cet homme, et tel est le prix de l’offre que je lui avais faite de lui donner en pur don ma maison de l’Hermitage, qui se trouve entre Tourney et Ferney. On saura bientôt de quelle reconnaissance il a payé les services de M. Grimm, de M. Helvétius, de M. Diderot, de M. Hume et de M. d’Alembert, que vous n’aimez pas infiniment, je le sais, et dont je connais les inconvéniens mieux que personne, mais qui n’en ont pas moins été pour lui la bienveillance et l’obligeance mêmes. Nous avons eu ici le mariage de M. de Florian ; nous aurons bientôt celui de M. le Marquis de Villette, je dis Marquis, Madame ; car, plus heureux que moi, qui n’ai pas sans doute autant de mérite que lui, mais dont la fortune et la naissance ne sont pas au-dessous des siennes, il a une terre érigée en marquisat, par le Roi, pour lui, comme seigneur de sept grosses paroisses et comme au temps de la chevalerie, ce que je pourrais, sans aucun doute, effectuer tout aussi bien que M. de Villette et sans causer plus de surprise que lui. Il est possesseur de quarante mille écus de rente qu’il va partager avec Mademoiselle de Varicourt, qui demeure chez Madame Denys. Cette jeune personne lui apporte en échange dix-sept ans, de la naissance, de la piété, de la prudence et des grâces. Vous trouverez sûrement que M. de Villette fait un excellent marché. Cet événement égaie un peu ma vieillesse et mes souffrances. Ce Rousseau me tue, Madame ! Ayez la bonté de brûler ces paperasses, de peur qu’on ne m’y voie trop en laid ou trop en négligé. Je vous adore et vous implore avec une vénération que je renonce à vous exprimer. Vous êtes un ange de bonté miséricordieuse. Je baise le bout de vos ailes, et je les baise à genoux, à deux genoux ! — À Ferney, ce 4 novembre. »

Voltaire.