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SOUVENIRS

portable. Il n’avait trouvé qu’une manière et qu’une seule occasion pour s’en délivrer, c’était en acquérant un petit fief de la vicomté de Paris ; mais, comme le nom de ce lieu féodal était Bouprupt-en-Jôsas, il s’était enfui de chez le notaire où se faisait la vente aussitôt qu’il avait ouï proférer cet horrible nom. Celui de Veautaire, dont il a fait Voltaire à raison de l’euphonie, est le nom d’une petite ferme située dans la paroisse d’Asnières-sur-Oise, à dix lieues de Paris. Il en avait hérité d’un sien cousin nommé Gramichel ; et, bien que ce domaine ne fût nullement seigneurial et qu’il ne rapportât que deux cents livres, il n’hésita pas à en prendre le nom, au mépris de celui d’Arouet dont il était excédé.

Arouet ! indigne et misérable nom ! disait-il un jour en présence de M. Clairaut ; et notez que c’était en menaçant les cieux d’un regard de colère et du poing ferme, comme un homme en délire.

Les notaires de Paris disent toujours que, pour les seigneuries en Île-de-France, il y a différence de moitié prix suivant que le nom du fief est plus ou moins élégant ; et ceci me rappelle que M. de Penthièvre n’a jamais pu réussir à se défaire de la seigneurie de ses bourgs de Villejuif et de Lonjumeau, dont il aurait voulu se débarrasser parce qu’ils ne lui tiennent à rien (ils ne sont pas mouvans de sa châtellenie de Sceaux ; je crois même qu’ils relèvent de l’abbaye de Sainte-Geneviève, et que ce Prince ne voulait pas s’y trouver dominé par un Abbé). — Il serait joliment agréable de se faire annoncer Monsieur et Madame de Lonjumeau ou de Villejuif ! disaient les chercheurs de fiefs, ambitieux d’ac-