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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

mon herbe, mais elles me donnent du lait excellent, du fumier et ma provision de fromage ; différentes en cela de certaines bêtes qui vivent aux dépens de Votre Majesté, et qui ne lui rapportent rien.

Le Comte de Turpin avait pris en aversion à peu près tous les ministres du Roi Louis XVI, et surtout M. Necker ; tous ses gens partageaient la malveillance du maître, ainsi qu’il arrive souvent, et son cocher ne manquait jamais l’occasion de passer ou de couper la voiture de ce contrôleur. Un soir, et c’était sur la route de Versailles, le malin cocher reconnaît le carrosse de M. Necker, et prend si bien son temps qu’il l’accroche avec violence. Le ministre, furieux de ce choc inattendu, s’élance à sa portière, et demande avec vivacité quel est le maladroit qui se permet une telle insolence, et si l’on n’a pas vu ses lanternes. — On les a prises pour des vessies, lui répondit M. de Turpin en levant la glace de sa voiture. Le ministre, qui reconnut le vieux Comte, s’enfonça dans sa berline et ne parla de rien.

Il était toujours fort occupé de sa traduction des Commentaires de César sur l’art de la guerre ; ce travail employait la meilleure partie de ses matinées et puis, comme de juste, il y pensait continuellement le reste du jour, tellement qu’il en parlait à ses amis, aux indifférens, et surtout à son fils, qui, respectueusement soumis, écoutait paisiblement les commentaires sur les Commentaires, tout en trouvant quelquefois les digressions un peu longues. Cependant, quoiqu’il fût déjà marié et qu’il fût à son ménage à l’autre bout de Paris, le Marquis de Turpin venait régulièrement voir son père à la fin