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SOUVENIRS

claré, sur son honneur, qu’il allait non-seulement dépenser tout cet argent-là pendant les deux mois de son quartier d’hiver à Neustadt, mais, de plus, qu’il s’engageait à contracter pour dix mille florins de dettes, hypothéquées sur ses terres de France et sur les appointemens de son grade.

Il se trouva que, pour satisfaire à sa parole d’honneur, il fallait dépenser environ cinq mille cinq cents florins par jour, ce qui n’était guère aisé dans une aussi petite ville que Neustadt ; aussi, craignait-il de s’être aventuré légèrement et d’avoir compromis sa parole. On lui représenta qu’il pouvait employer une partie de son argent à soulager des misérables ; mais il rejeta cette proposition, disant qu’il avait promis de manger l’argent qu’il tenait de la générosité de Marie-Thérèse, mais non pas d’acquérir, par sa charité, de nouveaux droits à ses rémunérations. Il ajouta que la délicatesse de ses sentimens ne lui permettait pas d’employer en bonnes œuvres un argent qu’il avait juré de manger en folies. Ses pertes au jeu ne devaient pas compter, disait-il, attendu qu’il avait la chance de gagner, et que l’argent perdu n’était pas de l’argent dépensé suivant l’engagement qu’il avait pris.

Un si cruel embarras parut affecter le Comte de la Bourdaisière ; il en fut sérieusement préoccupé pendant vingt-quatre heures ; ensuite il eut le bonheur de trouver un moyen qui devait mettre sa parole d’honneur à couvert. Il assembla tout ce qu’on put trouver de cuisiniers, de marmitons, de musiciens, de comédiens, de sauteurs, d’escamoteurs et autres personnages de professions aussi vénérables. Il donnait à man-