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SOUVENIRS

gnifique. Il y avait quatre-vingt-douze personnes à la même table ; le Cardinal était assis entre la Connétable Colonne et la Marquise d’Aubeterre, ambassadrice de France, et celle-ci m’a dit que la physionomie de S. Em. n’avait eu rien de soucieux. Il avait mangé de bon appétit ; mais à la fin du second service il se pencha la tête sur son assiette en disant qu’il se trouvait mal et qu’il allait mourir. On l’emporta dans son appartement, et comme, à cela près des yeux qu’il tenait fermés, il n’avait sur la figure aucune rougeur, aucun mouvement convulsif, aucun symptôme de souffrance, on espéra que ce serait une indisposition passagère. Ce fut le Comte André Girao, son neveu, qui vint prendre sa place à table et qui fit les honneurs du palais pendant le reste de la soirée.

On apprit le lendemain matin que le Cardinal était mort à trois heures après minuit, et qu’on n’avait eu que le temps de lui faire administrer l’extrême-onction. On exposa son corps à la vénération du peuple romain ; son visage était recouvert d’un masque de cire à son effigie (c’est la coutume) ; on l’inhuma le sixième jour, et le Pape arriva précisément pendant que le cortége défilait sur la place du Peuple. Sa Sainteté fit arrêter le cercueil et lui donna sa bénédiction, ; mais elle ne proféra pas une seule parole de regret ; et ceci fit supposer qu’il avait dû se passer dans le cœur et les sentimens de ce prince, le plus affectueux des hommes, une étrange révolution.

Le Cardinal avait souscrit et fait déposer la veille de sa mort, à la chambre apostolique, un testa-