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SOUVENIRS

auprès des fenêtres, en face de la porte du boudoir par où Mme de Gèvres était entrée si brusquement, était voilée par une grande courtine en étoffe richement brodée, mais qui n’avait aucun rapport avec le meuble de la chambre, non plus qu’avec les tentures d’aucune autre pièce de la maison. C’était une sorte de brocard à fond bleu qui était semé d’étoiles d’or et de caractères cabalistiques en argent frisé. Il y avait aux deux côtés de cette porte deux trépieds dorés qui supportaient de larges coupes d’agate, ou plutôt d’albâtre rubané, car il est toujours prudent de supposer quelque charlatanisme en pareille matière. Lesdites coupes étaient remplies, l’une de fruits magnifiques, ananas, pêches, oranges et raisins, branches de fruits rouges, épis de blé, maïs et autres productions végétales, l’autre d’or et d’argent monnayé, pêle-mêle avec des perles et des pierreries, vraies ou fausses (ceci n’importait qu’aux illuminés). Remarquez, s’il vous plaît, que ces deux larges coupes étaient rapprochées de manière à laisser tout au juste la place de passer entre elles, et qu’il y avait à terre et en travers de cette porte un grand crucifix sur lequel il était impossible de ne pas marcher pour entrer dans le grand salon…

Un homme inconnu, couvert d’une longue robe mi-partie de velours noir et de satin bleu de ciel, entra dans cette chambre par la porte du boudoir, et, sans rien dire à Mme de Gèvres, il entreprit de s’emparer de sa main pour la conduire dans la salle de l’assemblée ; la portière de brocard en était ouverte ainsi que la porte, et l’on y voyait confusément une foule de personnages étrangement vêtus