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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

lequel avait été contemporain de N. S. Jésus-Christ ainsi que de l’Empereur Tibère et du Tétrarque Hérode de Galilée, dont il avait conservé une assez belle touffe de cheveux bruns. Il avait vu Ponce-Pilate, d’abord à Jérusalem, ensuite à Grenoble où il était exilé ; mais c’était un homme insipide et tellement insignifiant (avant la publication des SS. Évangiles), qu’il n’avait gardé de lui qu’un souvenir assez confus. Ces ridicules façons de parler me rappelaient toujours un certain livre d’histoire sur la première race, par M. l’Abbé Legendre, lequel observe, à propos de la Reine Brunehaut, que, bien que cette princesse eût des airs un peu fiers, elle avait néanmoins des manières à se faire aimer.

Un beau jour où Mmes de Lorraine-Marsan et de Rohan-Guémenée se trouvaient empêchées ou occupées d’un autre côté, Mme de Brionne me fit demander si je ne voudrais pas faire avec elle une tournée de visites. La Comtesse de Brionne était beaucoup plus jeune que moi. Il était usité pour lors qu’une mariée qui n’avait pas trente ans n’allât jamais faire de visites sans être accompagnée d’une autre femme. Pendant qu’on était jeune, on n’aurait jamais eu l’idée d’aller toute seule en aucun lieu public, à moins que ce ne fût à l’église. On n’allait pas même toute seule en voiture avec son mari, et beaucoup moins encore au spectacle, où l’on aurait pu supposer qu’une femme était une fille. Les flâneurs des rues et les godelureaux du parterre auraient porté leur attention sur le couple heureux ; enfin, toutes nos habitudes extérieures et nos coutumes s’étaient naturellement arrangées de