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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

fut enfoncé dans la croix à travers la main, moyennant cinq à six grands coups de maillet. Le visage de la bienheureuse était d’une pâleur effrayante et dans un état de crispation horrible à voir. Il en fut pareillement de sa main gauche ; mais avant de procéder à la torture des pieds, il fallut déclouer et rapprocher d’elle une sorte de bloc ou morceau de bois en forme de console, sur lequel on devait clouer ces deux extrémités du corps, parce qu’il avait d’abord été placé trop bas. Ce fut une opération qui dura plus de vingt minutes pendant lesquelles sœur Françoise ne décessa pas de catéchiser, de prophétiser et même de chanter, ce dont elle s’acquitta fort mal. Enfin les pieds furent mis à nu et cloués sur la console, et la croix fut élevée debout graduellement et par intervalles de dix minutes en dix minutes, à partir de sa première position horizontale jusqu’à la verticale, ce qui ne dura pas moins d’une heure un quart, au dire de Durfort, qui a toujours, comme vous savez, sa montre à la main. Pour moi, j’étais obsédé par la vision de cette scène sanglante, absorbé dans la contemplation de ce fanatisme, et il me prit en outre une inquiétude mortelle pour ce Richelieu que j’aime, dont j’attendais continuellement quelque nouvelle diablerie et que je voyais assommé, si ce n’est crucifié. Je ne doute pas que les convulsions ne soient plus ou moins épidémiques ; le sage Durfort en a conservé de l’ébranlement nerveux pendant quarante-huit heures, au point d’en avoir perdu le sommeil et l’appétit. Si la séance avait duré une