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SOUVENIRS

publique[1]. En arrivant à Paris on ne lui rendit que la moitié de sa pension de deux mille écus ; on le contraignis à s’habiller en femme, afin de ménager la réputation de bravoure et la dignité de notre Ambassadeur à Londres. Il allait horriblement affublé d’une robe de femme, une méchante robe noire, avec la croix de Saint-Louis sur le cœur ; avec ses cheveux gris dérisoirement prostitués sous une cornette sale ; il allait faire assaut d’armes, en public, hélas ! et de pair à confrère avec un prévôt de salle appelé Saint-Georges !…

C’était grand deuil et grand’pitié, mon Enfant, de voir un gentilhomme français, un chevalier de l’ordre de Saint-Louis, un vieillard employé pour la couronne et connu de l’étranger, qui spadassinait comme sur un théâtre et contre un mulâtre, avec un histrion d’escrime, un gagiste de manège, un protégé de Mme de Montesson ! Quel oubli de la

  1. Charles-Germain-Louis-Auguste-André-Timothée d’Eon de Beaumont, Chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, et de l’ordre militaire et hospitalier de Notre-Dame du Mont-Carmel ancien, ministre résident auprès du Roi d’Angleterre, ancien ministre plénipotentiaire à Pétersbourg, etc., né à Tonnerre en 1728, mort à Londres le 24 mai 1810. (Voyez l’ouvrage intitulé Vie politique et militaire de mademoiselle d’Eon, Lieutenant-Colonel, Docteur en droit, Censeur royal, etc. Paris, 1779. Voyez, relativement au sexe de M. d’Eon, le procès-verbal rédigé à Londres après sa mort, et publié à Paris la même année, avec gravure, par les soins de M. le pasteur Marron, ministre protestant et président du Consistoire de Paris. 1810.)
    (Note de l’éditeur.)