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SOUVENIRS

faires étrangères il avait quelque raison de vouloir ménager. La violation patente et avouée du territoire de ce prince n’aurait pas manqué de produire une irritation fort impolitique, et d’autant plus que la politique du cabinet de Versailles était pour ce moment-là dans un calcul de modération.

En exécution des ordres qu’il avait reçus du Ministre, M. de Lamoignon fit conduire notre homme à la prison de Sainte-Marguerite, localité doutant mieux appropriée qu’elle n’est pas trop éloignée de Grenoble, et qu’elle est assez distante de la frontière de Savoie, pour avoir dépisté les autorités de Chambéry, qui n’osèrent rien dire à cause de l’incertitude et du manque de précision qui se trouva dans les rapports de leurs agens sur la frontière.

Il est possible, et même il est vraisemblable que, pendant le trajet de la frontière à sa prison, on avait fait masquer le Comte Mattioli, qui pouvait être reconnu par quelques-uns de ses compatriotes, lesquels Piémontais et Savoyards se trouvent toujours en bon nombre dans nos deux provinces ultra Rhodanum. C’était dans ce temps-là du reste, une chose de coutume à l’égard des prisonniers d’État qui voyageaient à cheval, à raison de certaines difficultés locales. Un de mes oncles avait rencontré M. Fouquet masqué d’un loup noir et monté sur une mule, au milieu des Cévennes, et ce fut seulement à son retour à Paris que mon oncle apprit quel était ce prisonnier d’État avec lequel i| s’était croisé dans la grande rue d’une petite ville appelée Pradelles ou Pradel, frigide et montagnarde