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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

table passion. Il y trouvait ses punitions, ses récompenses et ses quatre fins de l’homme. On démêlait aisément que la chasse et les galanteries n’étaient pour lui qu’un acte préparatoire et tout-à-fait du second ordre ; c’était un moyen, (mais un bon moyen !) pour aiguiser ou pour entretenir son appétit. À tout considérer, c’était un assez bon prince, et voici le résumé de son histoire.

Dans son enfance, il avait dit, à propos de rôties à la moelle : — J’en veux, beaucoup ! j’en veux trop !

Dans sa jeunesse (et dans son lit conjugal) il avait pleuré toute une nuit parce que ses médecins l’avaient empêché de souper à sa fantaisie.

Dans la maturité de son âge il fricassait des huîtres avec Mlle Mimi Duparc, et des ognons.

Enfin, dans sa vieillesse, Mme de Montesson lui disait tendrement : — Mais qu’avez-vous donc, Monseigneur ? vous avez l’air triste ; est-ce que vous n’avez plus faim ? — On n’a jamais faim au bout d’une demi-heure et l’on mange tout comme, lui répondait son Altesse Sérénissime. Il y a déjà beau temps que je n’ai plus faim, mais voici que je ne peux plus manger et c’est chagrinant.

Ce gros Duc d’Orléans, qui prétendait chasser de race, avait un visage assez régulier, réfléchi, bouffi, bonasse et benêt. Il avait eu quelquefois des tentations frondeuses avec des prétentions politiques et des velléités d’opposition contre le gouvernement du Roi, qui ne s’inquiétait guère du Palais-Royal, attendu que le Duc d’Orléans désavouait toujours ses conseillers et ne manquait jamais d’arriver au-devant