Page:Créquy - Souvenirs, tome 3.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
SOUVENIRS DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

observé, Monsieur le Marquis, que vous profanisez la chambre du Roi. — Monsieur, lui dit votre père, en reprenant sa vivacité naturelle avec son aplomb, je ne manquerai pas de préconer votre zèle auprès de M. le Duc d’Aumont. On n’a jamais rien vu d’aussi ridiculement prétentieux que ce premier Gentilhomme de la chambre, dont le Maréchal de Richelieu, son collègue, se raillait à la journée. Indépendamment de sa recherche habituelle en fait d’expressions techniques et de périphraséologie scientifique, c’était encore un amateur effréné pour les curiosités de bric-à-brac et pour toutes sortes de vieilleries ; mais bien qu’il eût acheté quatre colonnes de stuc pour du marbre antique, et bien qu’il eût payé des morceaux de verre de couleur pour des pierres précieuses, il ne s’en croyait pas moins un habile archéologue. Il avait une double voix du haut en bas, d’abord aiguë, perçante et criarde, et puis sourdement étouffée, ce qui faisait dire au Duc de Noailles que, pendant que sa mère était grosse de lui, elle avait eu envie de la machine de Marly ; et du reste il était horriblement négligé dans sa toilette, à dessein d’avoir la mine d’un savant. Le Maréchal de Richelieu lui disait un jour : — Duc d’Aumont, Dieu t’a fait bon gentilhomme et le Roi t’a fait Duc et Pair ; M. le Duc de Bourbon t’a fait cornard, et c’est Mimi la Duchesse d’Orléans qui t’a fait faire cordon-bleu. C’est moi qui t’avais fait et reçu Chevalier de Saint-Louis, à telle enseigne que je t’ai embrassé ce jour-là, mon bon ami ! fais donc quelque chose pour toi, fais-toi la barbe.