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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

qui n’y songeaient pas ; mais il eut à s’en repentir, une fois dans sa vie, et voici l’historiette.

La Duchesse de Chaulnes était certainement la plus extravagante et la plus ridicule personne de France[1]. C’était une grosse douairière toute bouffie, gorgée, soufflée, boursouflée de santé masculine et de sensibilité philosophique qui se faisait ajuster et coiffer en petite mignonne, et qui zézéyait en parlant pour se razeunir. Elle était éminemment riche, et c’étaient les enfans du Maréchal de Richelieu qui devaient hériter d’elle ; je pense que c’était à cause de leur grand’mère qui était une Mlle Jeannin de Castille. On supposait bien qu’elle éprouvait la tentation de se remarier mais ses héritiers ne s’en inquiétaient guère, en se reposant sur la difficulté qu’elle aurait à trouver un homme de la cour, ou même un simple gentilhomme qualifié qui voulut affronter une pareille exorbitance de chairs, de ridicules et de moustaches.

Il y avait à Paris, d’un autre côté, car c’était dans une des chambres d’enquêtes, un certain Conseiller sans barbe qui s’appelait M. de Giac, et qui était l’homme de justice le plus pédant, le plus risiblement coquet et le plus ennuyeux. Il avait l’air d’un squelette à qui l’on aurait mis du rouge de blonde et des habits de taffetas lilas. Il pinçait de

  1. Anne-Josephe Bonnier de Lamosson, fille d’un Trésorier-Général des états de Languedoc, mariée en 1734, morte à Paris, le 6 décembre 1782, étant veuve en deuxièmes noces de Martial-Henry de Giac, Seigneur de la Chapelle-en-Parisis.
    (Note de l’Auteur.)