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SOUVENIRS

tement du nom, Mme de Véni d’Arbouze. C’était un grand événement dans une communauté, qu’une visite de M. le Garde-des-Sceaux, qui n’en faisait à personne, et qui n’allait jamais qu’au pas dans les rues, tout seul au fond d’un grand carrosse et sur un fauteuil à bras, escorté par ses hoquetons et suivi par un autre carrosse avec la cassette où l’on gardait les sceaux de France, et de plus, par trois Conseillers Chauffe-Cire, qui ne le quittaient non plus que son ombre ou sa croix du Saint-Esprit. La Supérieure vint le recevoir au parloir. — Je n’ai pas le temps de m’arrêter, lui dit-il en la saluant, vous avez ici la fille du Comte de Champron ? — Oui, Monseigneur. — Je vous conseille de la renvoyer à ses parens secrètement, sans bruit et le plus tôt possible ; je n’ai voulu dire ceci qu’à vous-même. Adieu, Madame[1]. C’était M. d’Argenson qui avait organisé la police de Paris, et voilà comme on faisait la police dans ce temps-là. La religieuse était restée dans un état d’alarme et de saisissement inexprimable. L’inquiétude la prit avec plus de force encore au milieu, de la nuit ; elle se rendit à la cellule de la pensionnaire où elle ne trouva personne, et d’où elle ne sortit que lorsque la demoiselle y fut rentrée, c’est-à-dire à quatre ou cinq heures du matin. On n’a jamais appris ce qui fut dit entre elles ; mais la supérieure écrivit le lendemain au Comte de Champron de manière à lui

  1. Gaspard de Vichy, Comte de Champron, Châtelain de Puysagut, etc., mari d’Anne-Éléonore Bruslard, père et mère de Mme du Deffand.
    (Note de Mme de Créquy.)