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SOUVENIRS

pudente, ce qui le fit exiler à Tulles en Limousin, Mme Arouet, sa mère, n’en était pas autrement fâchée parce qu’il ne voulait faire autre chose que de rimer dans sa chambrette ou flâner sur les pavés de Paris, tandis qu’on aurait voulu lui faire exercer un emploi de greffier au Châtelet. C’était le Duc de Richelieu qu’elle avait choisi pour confident. Elle avait été belle et bienveillante pour lui, ce qui ne l’empêchait pas (lui, Richelieu) de nous en faire des railleries impitoyables, et c’est pour la première fois qu’on ait entendu parler du jeune Arouet, autrement dit M. de Voltaire.

Le Marquis de Créquy me dit un jour en présence de ma grand’mère, qui n’en revenait pas de surprise : — Je ne saurais blâmer le petit poète en question car il n’a dit autre chose que la vérité. Je vous assure que M. le Duc d’Orléans est une infâme créature il s’enivre tous les soirs avec des Broglie et des Canillac ; ensuite il se traîne à ce bal de l’Opéra qu’il a fait établir dans une aile de son Palais-Royal, malgré qu’il fût en grand deuil et malgré que nous fussions en carême. Il y tombe quelquefois par terre, attendu qu’il est ivre mort et pour l’achever de peindre, il a scandalisé tout Paris en s’en allant communier, comme si de rien n’était, à Saint-Eustache…

— Marquis ! pourquoi donc lui venez-vous parler de semblables choses ?…

— Vous allez voir à quelle intention bonne Marquise… — Sa femme est une sotte bâtarde, et puis voilà tout son fils est un Nicodème et ses filles ne valent pas mieux que leur père…