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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

M. de Créquy rentra chez nous dans un état d’affliction qu’on ne saurait décrire. Il se mit au lit sans vouloir souper, et lorsque j’entrai chez lui pour lui donner le bon soir, je le trouvai qui ruminait sur une lettre que venait de lui envoyer le Duc d’Havré, laquelle il avait reçue du Duc de Saint-Simon, familier du Régent. Voici la copie de cette lettre dont j’ai toujours conservé l’original.


Lettre du Duc de Saint-Simon au Duc d’Havré.

« Je pars pour la Ferté, suivant mon usage, au temps de Pâques, mon cher Duc. Je n’ai point manqué de représenter à M. le Duc d’Orléans la considérable et totale différence qu’il y avait en Allemagne et aux Pays-Bas, entre les effets des différens supplices, comme aussi le dommage affreux qui résulterait de celui-ci pour une maison si noble et si grandement alliée. La grâce de la vie me paraissant inespérable, à raison des manœuvres de ces deux hommes que vous savez, si connivens dans les choses de l’agiot et si fervens pour la sécurité des agioteurs, sans quoi leur papier tomberait certainement plus bas que terre ; j’ai sollicité vivement et j’ai eu le bonheur d’obtenir, je m’en flatte, et j’espère au moins, que cette peine infamante de la roue, serait commutée en celle d’être décapité, ce qui n’applique en aucun pays aucun cachet d’infamie, et ce qui laissera l’illustre maison d’Horn à lieu de pourvoir à l’établissement de ses filles et de ses cadets, s’il y en a. M. le Duc d’Orléans m’a confessé que j’avais toute raison ; j’ai pris sa parole à l’égard de cette commutation de peine, et je dois penser que c’est une chose assurée. J’ai même eu la précaution de lui dire, en nous séparant, que j’allais partir le lendemain et que je le conjurais de ne pas mettre sa parole en oubli, vu qu’il allait se trouver assailli par deux hommes qui sont acharnés à la roue et qui lui pourront altérer la vérité sur l’effet à prévoir de cette horrible exécution. Il m’a fermement promis de tenir ferme, et ce qui m’inspire le plus de confiance dans sa résolution, c’est qu’il m’a donné, pour vouloir y te-