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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

orpheline et qu’ils faisaient élever avec leurs enfans dans leur château de Newiemsko en Gallicie. Pour communiquer de la partie du château où logeaient les enfans avec les grands appartemens habités par le Prince et la Princesse, il était indispensablement nécessaire de traverser une salle immense qui partageait et coupait le centre du bâtiment dans toute sa profondeur et toute sa hauteur. La Comtesse Agnès, agée pour lors de cinq à six ans, faisait toujours des cris déchirans quand on la faisait passer sous la porte de cette grande salle qui s’ouvrait sur le salon de compagnie où se tenaient ses parens. Aussitôt qu’elle fut en âge de parler et de s’expliquer sur cette étrange habitude, elle indiqua, toute tremblante et paralysée de terreur, un grand tableau qui se trouvait sur la dite porte, et qui représentait, disait-on, la sibylle de Cumes. C’est en vain qu’on essaya de la familiariser avec cette peinture, horrible pour elle, et qui pourtant n’avait rien qui dût effrayer un enfant ; elle entrait en convulsions dès qu’elle entrait dans la salle, et comme son oncle ne voulait pas céder à ce qu’il appelait une manie, en faisant mettre au grenier sa sibylle de Cumes (qui du reste était un magnifique tableau du Titien), la Princesse de Radziwil étant plus compatissante, avait fini par ordonner qu’on fit arriver Agnès par l’extérieur du château, soit par la grande cour ou par la terrasse du jardin, mais toujours de manière à parvenir à l’autre extrémité du logis sans avoir à traverser la grande salle. S’il pleuvait ou s’il tombait de la neige, on la portait en chaise ; c’est ainsi qu’elle arrivait dans l’appartement de sa tante, et